UNE CONTRIBUTION VITALE
TEXTE Bianca Lavoie
PHOTOGRAPHIES Mathieu Laprise / International Women's Coffee Alliance
Êtes-vous familiers avec l’image du fermier colombien moustachu représentant le personnage fictif de Juan Váldez avec sa mule ? Depuis plus de 60 ans, cette représentation machiste a été utilisée pour véhiculer la fierté des Colombiens pour leur produit de qualité, mais aussi pour l’exotisme du monde du café par les médias internationaux.

Cette image bucolique, bien ancrée dans notre inconscient collectif nord-américain, nous a séduits, mais aveuglés depuis trop longtemps sur la réalité de la majorité des fermes de café; un bon pourcentage des producteurs de café sont en fait des productrices. Étonné(e)s ? La dure réalité des agricultrices est tout sauf fictive.
Le rôle des femmes dans la chaîne de production
Dans plus de 80 pays où le café est cultivé commercialement, qu’elles soient agricultrices, exploitantes agricoles indépendantes, fournisseuses rémunérées et non rémunérées dans les exploitations familiales, ouvrières ou entrepreneures, les femmes jouent un rôle très important dans la production du café. Le pourcentage des fonctions que ces dernières occupent au sein de la main-d'oeuvre active varie considérablement d'un secteur à l'autre. Sur les petites et grandes fermes, on dénote que l’apport des femmes est plus important dans les tâches requérant un travail physique léger comme la plantation, la récolte et le séchage, la tenue de livres, l’entretien et le nettoyage des installations de traitement du café. Leur travail est également essentiel dans les phases de caféiculture affectant la qualité gustative comme le triage.
Selon l’Organisation internationale du commerce, seulement 20% à 30% des fermes de café sont exploitées par des femmes, alors qu’elles représentent jusqu'à 70% de la main-d'oeuvre de production, selon la région.
Ainsi, au Nicaragua, on estime que les femmes sont responsables de 30% de la production de café, principalement au niveau de la récolte et de la transformation. En Inde, la part du travail dans la production est également divisée entre les hommes et les femmes, mais celles-ci y sont plus actives au début du processus et beaucoup moins dans les activités de transport et de marketing (FTAK, s.d.). Sur les terres appartenant à des familles qui produisent la majorité du café en Afrique, ce sont habituellement les femmes qui prennent en charge l’entretien et la récolte. Par exemple, en Éthiopie, 75% du travail dans l’ensemble de la chaîne de production du café est effectué par des femmes (TechnoServe, s.d.), tandis qu’en Ouganda, elles y représentent 70% sauf au niveau du marketing où les hommes dominent (Gumutindo, s.d.). Au Vietnam, elles représentent environ 50% des commerçants, ce qui est nettement plus qu’ailleurs dans le monde. Incontestablement, peu importe le pays producteur, la contribution des femmes est vitale à l’industrie.
Environ 5 millions des 25 millions de producteurs de café estimés du monde entier sont des femmes.
La plupart des études utilisées dans ce texte démontrent que les agricultrices fournissent des produits de meilleure qualité. D’abord, elles font preuve d’un plus grand soin et d’une plus grande attention pour le contrôle de la qualité. Comparativement à leurs pairs masculins, elles témoignent d’une plus grande volonté d’investir dans les intérêts à long terme de leur famille et de leur communauté. Plus précisément, si elles produisent des petites récoltes, elles ne feront pas de concessions pour les vendre au rabais, ce qui évite ainsi une baisse de revenus qui affecterait négativement les moyens de subsistance en milieu rural, ainsi que le bien-être du ménage. Sur les petites fermes, il n’est pas rare de voir la famille complète prendre part aux activités de production, mais toujours réparties selon le sexe.
L'écart entre les sexes
La présence des femmes dans le commerce et l'exportation ou même dans les laboratoires est moins élevée, malgré l’importance de leur contribution. Aussi, beaucoup d’entre elles n’ont pas encore assez de contrôle sur les revenus des récoltes, les structures de l'industrie du café tenant rarement compte des intérêts des femmes. Du point de vue des producteurs de café du Guatemala, selon une étude de Global Coffee Platform et de Sustainable Trade Platform, différents facteurs expliquent que les femmes s’engagent dans certaines tâches et non dans d’autres :
La participation à la transformation du café s'explique par la possibilité d'accomplir ces tâches à proximité ou même à l'intérieur de la maison, leur permettant ainsi de demeurer près de leurs enfants ou des membres de la famille demandant des soins, ou de délaisser temporairement la préparation des repas et autres tâches ménagères;
La disposition des femmes à accomplir des tâches qui demandent du soin et de la douceur justifie leur participation à la sélection des grains de café et elles sont ainsi préférées par certains propriétaires de ferme pour la récolte;
Dû au risque élevé relié à la manipulation de produits chimiques, les hommes effectuent presque exclusivement cette activité, et ce, afin de préserver la santé des femmes en âge de procréer ainsi que celle de leurs enfants;
La force physique plus restreinte des femmes justifie que le transport de lourdes charges et les activités impliquant l'utilisation de machines agricoles soient réalisés par des hommes;
La participation des femmes au domaine productif augmente quand elles doivent gérer la ferme en raison du veuvage ou d'une séparation; tout en étant responsables de la récolte et de la transformation du café, elles doivent continuer de nourrir les cueilleurs, sans négliger les tâches qu'elles effectuent quotidiennement tout au long de l'année;
De manière générale, en l'absence de connaissances ou de formations allant au-delà des questions purement liées au domaine de la caféiculture, les femmes sont encore souvent exclues des processus décisionnels et leur accès aux services publics, tels que les programmes de formation et de spécialisation, est souvent restreint. Soumises à des normes sociales rigides et accomplissant de nombreuses heures de travail, elles doivent également assurer leurs obligations familiales et ménagères. Par exemple, les femmes colombiennes vont travailler entre 21 et 42 heures de plus que les hommes chaque semaine. Ainsi, il n’est pas surprenant que leur capacité à participer à des activités de formation, de loisir ou de gestion soit très limitée.
Les femmes jouent un rôle crucial tout au long du processus de fabrication du café, mais ce sont généralement les hommes qui en retirent les revenus.
La propriété et l'accès aux ressources
Comme l’indique le récent rapport de l'Organisation internationale du café intitulé Gender Equality in the Coffee Sector, les femmes figurent parmi les plus vulnérables de la chaîne de production du café, notamment parce qu'elles ont un accès limité au financement, aux données et aux connaissances. En conséquence, elles ont souvent moins de ressources économiques, sociales, politiques et une capacité limitée à investir dans leur propre ferme. Cette différence d'accès aux ressources et à l’autonomisation se traduit par un écart entre les sexes dans les résultats agronomiques et économiques, tels que les rendements, les revenus provenant de la vente des récoltes et le bien-être des ménages (ONUAA, 2011). Ces revenus varient selon les pays et régions, ainsi qu’en fonction de l’ampleur du fossé entre les sexes. Par exemple, l'analyse des données de recensement de la Banque Mondiale montre que les revenus tirés de la vente de café sont de 39 à 44% inférieurs pour les ménages dirigés par une femme en Éthiopie et en Ouganda. Toujours, selon l'Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture, si les conditions étaient paritaires entre les hommes et les femmes, ces dernières pourraient augmenter les rendements de leurs exploitations de café de 20 à 30%. Combler le fossé entre les deux sexes pourrait générer 30 milliards de tasses de café supplémentaires par an.
Même si les terres sont souvent la propriété des familles, les hommes sont habituellement les propriétaires formels de celles-ci (ou copropriétaires pour les couples mariés). Ainsi, ils reçoivent les recettes de la vente directe du café, tandis que les femmes non propriétaires touchent un revenu seulement lorsqu’elles reçoivent un salaire (souvent réduit puisqu’elles ont une force physique limitée). Elles peuvent aussi être payées par leur mari sous forme de cadeaux pour acquitter leurs dépenses personnelles et familiales et peuvent toucher un autre petit revenu lorsqu’elles vendent la récolte de leur jardin ou les produits de leurs animaux de ferme.
Par exemple, au Guatemala, la tradition veut que seules les femmes qui bénéficient d'un héritage ou de la dotation d'un terrain par leur mari puissent devenir des propriétaires formelles. En Indonésie, les terres et les biens seraient partagés, bien qu’ils soient généralement enregistrés au nom de l’homme (qui détient tous les droits légaux). Une femme en Indonésie n'hérite pas de la terre de son mari à son décès, à moins qu'il n'y ait pas de fils, auquel cas elle hérite de 50% de la terre (ONUAA, 2009). Comme les recherches le dévoilent, un accès accru aux ressources (économiques, sociales et politiques) pour les femmes, en particulier dans le secteur agricole, a des retombées positives sur l'éducation, la santé, la sécurité alimentaire et le bien-être, sur le développement économique et social et sur la réduction de la pauvreté. En outre, promouvoir l’égalité des sexes contribuera aussi de manière décisive à renforcer la résilience des agricultrices face à l’instabilité des prix du café et à leur capacité à s’adapter aux changements climatiques – un défi majeur auquel le secteur est confronté. Néanmoins, les femmes font face à des défis supplémentaires, notamment l'abus, la malnutrition, l'analphabétisme, le manque de soins de santé et l'équilibre difficile entre les responsabilités familiales et les tâches ménagères avec le travail.
L'autonomisation et redonner le pouvoir aux femmes
Pour que les femmes – encore trop marginalisées – puissent prospérer, le schisme traditionnel entre les sexes doit cesser de les confiner à une production de subsistance. La sphère commerciale doit également valider leur potentiel. Encourager l'autonomisation et le pouvoir des agricultrices de café contribue directement à combler ce fossé et à atteindre l'équité entre les sexes. En d’autres termes, le renforcement du rôle des femmes favorise le développement en général des moyens de subsistance des ménages, allant de l’amélioration de l’état nutritionnel des individus, à l’augmentation de leur niveau d’éducation. La manifestation de leur pouvoir se traduit par le contrôle des ressources, la capacité de se déplacer librement, la prise de décision sur la formation de la famille, la diminution du risque de violence et la capacité d'avoir une voix dans la société et d'influencer les politiques.

Des associations qui font la différence
Plusieurs associations tentent de faire la différence quant à la situation des femmes dans les pays producteurs. L'Association des caféières de l'ouest de Huila (ASMUCAOCC) ou Las Rosas, créée en 2012, vise justement à aider les femmes et les familles de la municipalité de La Plata en Colombie, à participer à la chaîne d'approvisionnement du café. Avec plus de 350 membres féminins, l’association peut se vanter de produire plus de 450 000 kilos de café en parche sec chaque année dont environ 40% (représentant entre sept à dix conteneurs) sont exportés au Canada par l'intermédiaire de RGC Coffee, un importateur montréalais. Leur café est identifié comme « café produit par des femmes », entraînant un prix plus élevé lors de la vente. Aussi, dans deux magasins régionaux appartenant aux femmes de Las Rosas, il est possible de se procurer leur café et ses produits dérivés. Depuis 2016, Solidaridad, grâce au financement du gouvernement néerlandais, est une organisation internationale qui travaille à la production durable de plusieurs produits tels que le café. Ils soutiennent entre autres les femmes de Las Rosas et leurs familles. L’accès à l’inclusion financière est un élément essentiel du soutien fourni par l’organisme. Il offre aux femmes un accès à un crédit à faible taux d’intérêt grâce à un fonds de rotation du crédit. De plus, Solidaridad donne des cours d'éducation financière pour améliorer les connaissances en matière de gestion des ménages.
Mise sur pied en 2003 par des femmes originaires du Costa Rica, du Nicaragua et des États-Unis, l'Alliance internationale des femmes pour le café (IWCA) a pour mission de donner aux femmes de la communauté internationale du café, le pouvoir de mener une vie significative et durable et d'encourager et de reconnaître leur participation à tous les niveaux de l'industrie du café.
L'Alliance est chargée de leur autonomisation en soutenant un réseau mondial d'organisations indépendantes, auto-organisées et autonomes, appelées Chapitres IWCA. Chaque chapitre développe et met en oeuvre ses propres buts et objectifs pour faire progresser ses communautés en respectant les valeurs suivantes : le respect, la durabilité, l’équité, l’intégrité, la collaboration, l’autonomisation et l’inclusion. On retrouve présentement 23 chapitres dans autant de pays, répartis entre les différents pays producteurs. Par exemple, Pauline Ntaconkurikira, productrice de café, a rassemblé des voisins pour la rejoindre dans le chapitre de l'IWCA Burundi. En formant des partenariats, le groupe a bénéficié de nouvelles formations qui ont rapidement aidé à améliorer la qualité du café pour les agriculteurs et agricultrices de la région, ouvrant la porte au programme IWCA Burundi Premium, ainsi qu’à une prime supplémentaire des organisations partenaires. La plantation de nouveaux caféiers et l’extension des plantations de café familiales sont des effets directs de l’implication des femmes dans IWCA Burundi. Ces accomplissements ont été rendus possibles par la réception de primes dues à la reconnaissance et l’appréciation de leur travail. En 2014, les membres du IWCA Burundi ont également participé au Cup of Excellence - compétition prestigieuse servant à déterminer le meilleur café selon la récolte actuelle d’un pays donné - et se sont placés au deuxième rang pour la station de lavage Kirema. Concrètement, IWCA Burundi a eu un impact positif sur les familles de Ngozi et de Kayanza en offrant des opportunités de formation professionnelle et de primes de café améliorant les moyens d’existence. L’autonomie financière des femmes leur permet d’investir dans leur ménage, notamment en achetant des biens nécessaires et en étant en mesure de payer les frais de scolarité de leurs enfants.

En conclusion, plusieurs organismes et projets ont été mis sur pieds pour et par les femmes dans les pays producteurs. Si ces derniers remportent un certain succès quant à la sensibilisation ici comme à l’origine, il faut tout de même, dès maintenant, habiliter les femmes de la communauté internationale à mener une vie valorisante et durable. Il faut encourager et reconnaître la richesse à travers la différence des genres, et ce, à travers tous les niveaux de production du café. Plus concrètement, les femmes doivent être explicitement invitées aux côtés du chef de famille dans les ménages patriarcaux, pour que leurs voix soient entendues. Le vrai changement en milieu rural commence aussi avec l’enseignement de nouvelles conceptions de la famille aux nouvelles générations. Mais à plus grande échelle, les femmes ne se verront pas offrir les opportunités qu’elles méritent tant que les gouvernements n’effectueront pas des réformes ciblées et que les acteurs de l’industrie du café ne redoubleront pas d’efforts pour remédier aux inégalités entre les sexes. La sensibilisation et l'éducation sont essentielles. Par exemple, introduire des politiques publiques visant une plus grande inscription des jeunes filles provenant de milieux ruraux à l’éducation primaire pourrait bénéficier aux ménages producteurs de café. Nous pouvons espérer que les différentes initiatives déjà mises en place mèneront à un avenir où les productrices de café auront plus de pouvoir et plus de voix.