PROCÉDÉ, PAYS ET VARIÉTÉ: QU'EST-CE QUI INFLUENCE LA SAVEUR?
TEXTE Jérôme Grenier-Desbiens
ILLUSTRATIONS Florence Rivest
« Le procédé, le transport, la torréfaction et la préparation sont une fenêtre sur le café. Si cette fenêtre n'est pas limpide, on ne peut goûter pleinement au café. » - George Howell
En tant qu’acheteur et torréfacteur, je travaille souvent avec cette citation en tête. George Howell est pour moi le Henry Ford de notre industrie. C’est l’un des pionniers et visionnaires sans qui nous n’aurions pas de travail aujourd’hui. Obtenir une tasse limpide, où on goûte le travail du fermier ainsi que le terroir, reste le but ultime pour plusieurs des cafés que je torréfie. Mais encore faut-il savoir ce que nous devons voir à travers cette fenêtre. Comment le procédé, la variété et le pays influencent-ils le goût du café ?
Le procédé
Le procédé employé a une influence capitale sur le goût final dans la tasse. De plus, chaque pays présente ses variations régionales et ses propres interprétations des types de procédés. Cependant, de manière générale, il existe trois types de procédés de transformation de la cerise en grain : naturel, semi-lavé et lavé. Tous ont en commun d’impliquer une fermentation, un séchage, des lavages et plusieurs tris.
Le procédé naturel reste le plus « simple » : on cueille la cerise et on l’envoie au séchage. Le grain de café sèche ainsi au coeur de la cerise, entouré du sucre, du fruit et de la peau. Une fermentation s’effectue alors durant les premiers jours du processus de séchage, puisque la pulpe contient encore de l'humidité. Cette technique influence radicalement le goût du café. On y trouve des arômes plus sucrés, fruités et vineux. Si vous aimez une tasse qui goûte la confiture de fraises ou le porto, voici votre procédé. Par contre, puisque la fermentation n’est pas aussi bien contrôlée que dans les autres techniques de séchage, le café peut rancir et développer des arômes d’orange moisie, de pourriture ou de bois humide. Autrefois la spécialité des climats secs, la qualité des procédés naturels tend à s'améliorer au niveau mondial depuis maintenant quelques années.
Le procédé semi-lavé est à mi-chemin entre le procédé naturel et lavé. Ici, on n'enlève qu’une partie de la pulpe. L’élément clé de ce procédé est que la peau du fruit, barrière naturelle au séchage, est enlevée. Cela permet un meilleur contrôle de la fermentation qu’un procédé naturel. Selon la quantité de pulpe enlevée, on retrouvera un café avec un profil plus près d’un procédé naturel (fruité, sucré, vineux) ou d’un procédé lavé. Cette technique porte plusieurs noms selon le pays : honey, semi-lavé, pulped natural.
Le procédé lavé, quant à lui, reste le plus courant au niveau des cafés de spécialité. La peau et la pulpe sont alors complètement enlevées. Cependant, une section coriace de la pulpe reste accrochée au grain : le mucilage. Ici encore, on procède à une fermentation, mais en citerne, où des enzymes naturellement présentes dans le fruit digèrent le mucilage. Selon la technique utilisée, les conditions climatiques et la quantité de mucilage restante, la fermentation peut prendre de 8 à 72 heures. Il est également possible d’effectuer la fermentation à l’air libre ou dans l’eau, la seconde méthode permettant un meilleur contrôle. Une fois que le mucilage est digéré, on lave le grain à grande eau. C’est de là que le procédé tire son nom. Finalement, on envoie le grain lavé au séchage.
De manière générale, il faut noter qu’il y a un effort de recherche et développement au niveau du procédé pour une raison majeure : l’impact environnemental. Historiquement, les cafés dits lavés atteignent un meilleur prix vu la clarté des saveurs et le faible niveau de défauts. Cependant, c’est le processus qui emploie le plus d’eau : entre 20 et 100 m3 d’eau par tonne de café produite (ou 11 à 50 litres par tasse).
Dans tous les pays producteurs, cela crée une pression environnementale pour l’extraction d’eau propre et pour la disposition des eaux usées. On voit donc de plus en plus de développements au niveau des procédés semi-lavés et naturels, ainsi que sur l’usage de l’eau du procédé lavé. Pour le café de spécialité, cela résulte en des cafés naturels ou semi-lavés plus propres et des procédés lavés tout aussi goûteux, mais plus économes en eau.
Génétique et variétés
Un second aspect ayant un impact sur le goût de la tasse est la génétique des plantes. Tout café de spécialité vient de l'espèce Arabica. Cependant, comme toute culture agricole, il existe des variétés. On peut penser, par exemple, au vin et ses cépages. Cependant, l'apparente diversité de variétés de café ne garantit pas une réelle diversité génétique. Selon l'organisme World Coffee Research, la diversité génétique des variétés connues est très faible. Il n’existe que 1.2% de variation entre une variété cultivée et sa cousine la plus éloignée. Ainsi, selon les recherches du WCR, il n’existe que quatre familles de variétés : Bourbon-typica, Éthiopienne, Hybride d’introgression et Hybride F1.
La plus connue est la Bourbon-typica, représentant à elle seule 80% de la production mondiale. Si vous buvez un café provenant du Kenya, du Brésil, de la Colombie ou du Mexique, il y a de fortes chances que le grain soit une variété provenant de cette famille. Une moins connue est l'éthiopienne, elle est représentée par la fameuse appellation « variétés ancestrales ». Ce sont des variétés indigènes, cultivées localement depuis des centaines d’années. En bref, nous ne connaissons pas la diversité génétique en Éthiopie puisqu’il existe un embargo légal. Afin de conserver la richesse génétique de ces variétés ancestrales, le gouvernement éthiopien interdit d’exporter des plants de café du pays. Ceci dit, les variétés connues sont le Gesha et le Java, qui furent exportées avant que l’embargo ne soit mis en place.
Les deux dernières familles sont de type hybride. La première est constituée de variétés croisées entre l'espèce Arabica et d’autres, telles que Canephora (Robusta) ou Liberica. On y trouve les hybrides de type Timor et Arabusta. Ces hybrides sont principalement apparus via des croisements en situation de culture agricole; c’est-à-dire un croisement non planifié, entre deux plantes cultivées. La dernière famille d’hybrides, quant à elle, est développée en laboratoire; ceux qu’on appelle de type F1. Or, l’hybride F1 est la première génération issue d’un croisement entre deux variétés distinctes. Il en résulte une plante rassemblant les meilleurs aspects des parents, c’est-à-dire meilleure production, résistance aux maladies, production plus hâtive ou plants à hauteur d’homme. Il est à noter que les F1 représentent une approche récente et nous commençons à peine à les voir apparaître dans notre tasse.
L’impact de la variété dans la tasse reste par contre mitigé, vu la faible variation génétique mentionnée plus tôt. Or, le sol, le climat ainsi que le procédé, participent beaucoup plus au profil de goût. Autrement dit, planter du Gesha au Brésil ne signifie pas que le café aura un goût identique au Gesha de Boquete, au Panama.
Le terroir
Le dernier point en importance quant au profil de goût est l’origine géographique du café : pays, région, ferme. Le profil de tasse devient donc le résultat du mélange entre le climat, l’expertise fermière, la tradition agricole, le sol, l’altitude, etc. Bien qu’il y ait quelques exceptions, il est possible de tirer certaines conclusions générales nous permettant de catégoriser le profil de la tasse. Voici quelques exemples tirés des origines les plus répandues.
L’Éthiopie est plutôt particulière quant à la culture du café et ce, sur plusieurs aspects. Tout d’abord, le café Arabica y est endémique. Les fermiers éthiopiens cultivent le café un peu comme on cultive l’érable ici; on achète une terre où les arbres s’y trouvent déjà. De ce fait, les variétés présentent en Éthiopie varient d’une région à l’autre. Cela contribue énormément à la diversité des profils de goût des cafés éthiopiens. Le deuxième point important est le mode de transformation, puisque les stations de lavage se trouvent dans le village même. Chaque fermier récolte et vend ses cerises au wetmill (dépulpeur où le fruit est séparé du grain). Il en résulte donc que les cafés éthiopiens ont généralement un caractère régional, ou sous-régional, et qu’il est quasi impossible de retracer l’origine jusqu’à une ferme spécifique. Une révision récente des structures d’approvisionnement commence à permettre une meilleure traçabilité des cafés éthiopiens.
Profils de goût typiques : petits fruits, pêche, cerise, thé noir, floral.
BRÉSIL
Plus gros producteur de café au monde, il est impossible de faire abstraction du Brésil. Le café y fait l’objet d’une approche souvent très industrielle de l’agriculture, principalement due à la topographie du Brésil. Il y existe de hauts plateaux où l’on retrouve du terrain plat à une altitude satisfaisante pour la culture du café. Cela permet une production accrue, rendant possibles la culture en rang et l’usage de machineries. Cette industrialisation et mécanisation a aussi permis à plusieurs fermiers de s’enrichir et de prendre beaucoup d’expansion. Les fazendas (fermes) peuvent y être immenses. De plus, vu la rareté relative de l’eau, les procédés naturels et semi-lavés (pulped naturals) y sont abondants. Côté café de spécialité, il existe plusieurs fazendas très intéressantes et on voit l’émergence de fermettes, les sitios. Ces dernières sont très prometteuses pour du café de très haute qualité.
Profils de goût typiques : noix (arachide, cajou, noix du Brésil), chocolat, cacao, corps crémeux.
AMÉRIQUE CENTRALE ET COLOMBIE
Du Mexique à la Colombie, un profil de goût domine : les washed milds. Ce sont des cafés plus doux aux notes de noix, de caramel et de fruits secs. Cette appellation s’explique aussi par la prédominance du procédé lavé et des variétés provenant du Typica. Le relief y est aussi similaire d’un pays à l’autre : terrains montagneux allant de la cordillère au volcan. Historiquement, le séchage se fait sur un patio de ciment, qui, en fait, est souvent le toit de la maison où habite toute la famille. Par contre, il ne faut pas faire l’erreur de généraliser les washed milds. Ce sont des cafés délicats qui peuvent avoir une complexité délicieuse et des profils de goût surprenants. De plus, on y voit de plus en plus de procédés semi-lavés (les honeys) et des méthodes de séchage plus modernes. C’est une grande catégorie où chaque pays représente un monde de saveurs.
Au final, en tant qu’acheteur, j’en suis arrivé à une interprétation personnelle de l’expression de George Howell. Ce n’est pas nécessairement la limpidité que l’on recherche. Ce que l’on veut voir à travers la fenêtre, c’est le caractère du grain. Ce qui le distingue est dicté par le procédé, le terroir et la génétique. Mais au-delà de ces trois points plutôt techniques, il y a plus. Bien souvent, le caractère n’a rien à voir avec la plante, mais tout avec les fermiers ! C’est de leur travail du terroir, de leur sélection des variétés, et de leur maîtrise du procédé, que découle la qualité du café.