HOLLY VON HOYNINGEN HUENE: PARCOURS SINGULIER D’UNE PASSIONNÉE
TEXTE Isabelle Huard
PHOTOGRAPHIES Marie Sébire
Discussion avec Holly von Hoyningen Huene, copropriétaire et torréfactrice chez Kaito Coffee Roasters, Hudson.
Parlons de ta vie avant Kaito. Que faisais-tu et qu’envisageais-tu comme parcours professionnel?
Ok! Alors avant le café, j’ai entamé un baccalauréat en Littérature anglaise et après un trimestre, j’ai compris que ce n’était pas pour moi. J’ai donc fait des études en Gestion hôtelière puisque je travaillais en service et en restauration depuis longtemps. J’ai travaillé en hôtellerie et en restauration pendant un temps, mais ce n’était plus le style de vie que je voulais… Certaines choses étaient devenues plus ou moins importantes dans ma vie et je me suis dit que je retournerais à l’école. J’ai débuté des études en Psychologie et c’était génial! Le fait de retourner à l’université après une pause faisait en sorte que j’avais une tout autre approche et que je m’impliquais davantage. Je pense qu’en tant qu’étudiant, on a la possibilité de choisir quel type d’expérience on veut vivre à l’université; ça peut être très superficiel dans le but unique de recevoir son diplôme, ou on peut s’engager dans plein de projets qui se passent dans cette mini-société, et ça devient très intéressant. Donc à travers mes études, j’ai choisi de devenir chercheuse dans le domaine de la neuropsychologie.
Je savais que je voulais faire ma maîtrise, et que je voulais la faire ailleurs qu’à Montréal. Mon copain Paul et moi avons donc commencé à faire nos recherches et j’ai trouvé l’Université de Bremen, en Allemagne. Au final, c’était la destination idéale puisque nous avions déjà été plusieurs fois en Allemagne et que la mère de Paul vivait à Berlin. À chaque fois qu’on y allait, on se disait à quel point c’était cool, qu’on adorait ça et que ce serait super d’y vivre. C’était une belle occasion pour nous. On a tout laissé – notre appartement et tout le reste– et à la dernière minute, je me suis rendue compte que ce n’était pas ce que je voulais faire (rires)! Encore une fois, comme dans le cas de la gestion hôtelière, je me suis questionnée à savoir quel style de vie je recherchais. Je m’en allais dans cette direction où le concept, l’idée et le travail étaient captivants, mais ce n’était peut-être pas le style de vie qui m’intéressait. Quand tu es une chercheuse, tu dois avoir cette question qui te brûle, qui te guide, et je sentais que je n’avais pas cette question précise. On a quand même décidé de déménager à Berlin, puisque tout était déjà planifié, et on se disait qu’une fois rendus, on trouverait bien quoi faire. J’ai commencé à travailler en tant que nounou pour une famille allemande, ce qui était génial pour mon intégration à cette nouvelle culture, et Paul a commencé des études en architecture. Alors, nous y étions, avec une toute nouvelle vie… jusqu’à ce que Paul (rires) décide que l’architecture n’était peut-être pas pour lui, et qu’il voulait réaliser son rêve d’enfance : devenir pilote! On est alors déménagés à Francfort afin qu’il obtienne son permis de pilotage et j’ai commencé à écrire pour des blogues de design intérieur. Ah… Parce que pendant ce temps-là, je me suis dit que je devais aussi bien faire quelque chose d’intéressant et j’ai commencé un certificat en Design d’intérieur (rires)! Paul a obtenu son permis de pilotage, on s’est mariés à Francfort, puis on est retournés à Berlin puisqu’il avait obtenu un poste comme pilote pour une compagnie aérienne basée là-bas.
Quand as-tu commencé à t’intéresser sérieusement au café ?
De retour à Berlin, où on vivait parmi tous ces cafés et torréfacteurs très progressistes de troisième vague, et le café faisant déjà partie intégrante de nos vies, on a commencé à s’y intéresser de plus en plus : les différents grains, les différents torréfacteurs, les méthodes d’infusions, etc. On se posait de plus en plus de questions et on est devenus pas mal geeky : on visitait les torréfacteurs, on participait à des ateliers et à des dégustations, tout ça pour le plaisir.
Paul, avec son horaire instable de pilote, a réussi à se trouver un travail à temps partiel pour un torréfacteur, plutôt du type traditionnel. Son temps partiel s’est éventuellement transformé en travail à temps plein, et ce travail à temps plein est devenu cette « chose » que l’on voulait faire ensemble. On a toujours rêvé, quand on serait vieux et retraités, de faire quelque chose ensemble, comme d’ouvrir une librairie ou un fleuriste, mais maintenant que Paul avait de l’expérience dans un domaine qui nous intéressait, on sentait qu’avec le café, on avait notre projet qui se concrétisait. Il a rapidement eu des idées très spécifiques de la façon dont il voulait torréfier le café, qui était très différente de celle du torréfacteur pour qui il travaillait. Pendant un an, on a commencé à planifier et à se demander où on le ferait, et tout. On a alors décidé de revenir ici, près de Montréal, puisque nous sommes d’ici et que nos parents sont ici, et d’ouvrir notre atelier de torréfaction ensemble.
Pourquoi Kaito ?
Alors Kaito… Je vais te raconter la version longue puisqu’on jase, et parce que ça relie notre vie avant le café, nos intérêts pour le design et l’architecture, mon penchant pour la science et le sien pour le pilotage, puisque pour Paul, il y a beaucoup de parallèles entre travailler comme torréfacteur et dans une cabine de pilotage. Donc il y a ce couple de designers de meubles des années 50, Charles et Ray Eames, qui ont produit des pièces célèbres. Mis à part la création de meubles magnifiques, ils pensent, ils approchent les problématiques d’un point de vue de designers et il est très intéressant à mon avis de résoudre des problèmes avec une telle approche. On s’est dit que, quand on aurait une compagnie ensemble, on les prendrait comme modèles pour nous rappeler cette approche de la résolution de problèmes, que nous trouvons admirable. Ils ont cette statue de petit oiseau, qu’ils n’ont pas créée mais qu’ils ont ramenée d’un voyage et qui se retrouvait dans plusieurs de leurs campagnes publicitaires, photos, affiches, etc. L’oiseau - le Eames House Bird, est devenu si populaire qu’ils ont dû commencer à le produire! Parce que c’est tout ce que nous pouvions nous procurer de Charles et Ray Eames, on a acheté l’oiseau (rires) ! « On va l’avoir dans notre atelier et on va l’utiliser pour nous souvenir d’eux ». Puisqu’on était si centrés sur l’oiseau, on s’est dit: “ pourquoi ne pas le mettre sur notre logo?”. Mais on ne voulait pas l’utiliser tel quel, on voulait changer la forme pour refléter notre entreprise. Il est devenu plus géométrique, une sorte de silhouette angulaire d’oiseau et quand on a créé notre logo, on s’est dit que ça ressemblait énormément à de l’origami. On a alors trouvé cet origamiste et on lui a montré notre logo en lui demandant s’il pouvait reproduire un modèle de pliage. Quelques jours plus tard, il avait réussi à le reproduire. On a donc maintenant ce petit oiseau en papier qu’on met partout, tout comme Charles et Ray!
Lorsque tu commences à plier l’oiseau, tu débutes avec un pli qui s’appelle kite, un des principaux plis de base en origami. On a utilisé la prononciation japonaise du mot anglais kite, qui est kaito. Ça fait référence à l’art japonais du pliage de papier et c’est la base de l’oiseau! C’est une longue histoire, mais l’oiseau vient tout relier!
En tant qu’entrepreneure et torréfactrice, quelle est ta philosophie de travail, qu’est ce qui est important pour toi ?
J’y ai beaucoup pensé depuis que tu m’as contactée pour faire cette entrevue et que tu m’as dit que tu voulais interviewer une femme dans le milieu du café. J’étais très honorée parce depuis l’ouverture de l’entreprise, je n’ai pas eu le temps de m’asseoir et de réfléchir à moi-même en tant que femme dans le monde du café. Je suis devenue une propriétaire d’entreprise, une mère, tout ça en même temps. C’était très épuisant. Même à ce jour, je suis encore dans un mode de production mécanique : on a besoin de produire, de livrer, de faire rouler l’entreprise. On a maintenant un café et des employés. En fait, avoir des employés m’amène à me questionner sur moi-même en tant que personne avec de grandes responsabilités. Être une mère me fait me sentir comme ça et être propriétaire d’entreprise me fait me sentir comme ça également, surtout en termes de produits. On développe un produit et on le rend disponible au grand public. C’est une énorme responsabilité qui ne devrait pas être prise à la légère. Je crois qu’une part de ce qui est mauvais dans le monde est que trop de gens développent des produits et ne s’en sentent pas responsables. Ce n’est pas ce qu’on fait. Oui, c’est plaisant, on aime le café et on le torréfie, mais c’est sérieux! On met au monde un produit que les gens vont acheter et je me sens autant responsable pour cela que pour mon enfant, que pour les membres de mon équipe. Alors je crois que dans cette responsabilité repose ma connexion au fait d’être une entrepreneure et torréfactrice, une femme dans le monde du café. Parce qu’on développe un produit, mais le produit n’est pas l’entreprise; l’entreprise, ce sont les gens, nos clients, ceux qui nous appuient. Ça, c’est notre entreprise. Je crois donc que le mot clé serait la responsabilité, celle qui m’incombe de mettre sur le marché un produit de qualité et de m’occuper de mon équipe, de mon entreprise.
Qu’est-ce qui te passionne le plus dans ton travail ?
Je crois que ce qui me passionne le plus dans mon travail est de pousser le café plus loin [participer au développement de l’industrie]. Ça va au-delà de Kaito. Nous sommes entrés dans le monde du café de spécialité parce que ça respecte le produit, les gens. On tente d’être une meilleure industrie dans la façon dont nous traitons les gens; c’est un aspect essentiel de cette industrie, mais la manière dont c’est fait en général [le rapport aux gens et au café en tant que produit à toutes les étapes de la chaîne] en ce moment n’est pas un modèle durable.
Il devrait y avoir plus de torréfacteurs comme nous qui ont à cœur leur produit, qui mettent de la pression sur leur importateur pour faire de bonnes choses, et plus de gens qui se soucient de ce qu’ils boivent. Il faut en faire beaucoup plus. Ce qui me passionne de mon travail est ce qui vient ensuite : comment on peut faire plus, comment on peut faire mieux pour faire grandir l’industrie tout le monde ensemble de façon durable. Je ne sais pas si c’est parce que je commence dans l’industrie… J’aimerais encourager plus de conversations, et je crois que les gens sont également intéressés à partager. Ensemble, on peut faire beaucoup plus. Il y a tellement à faire! Imagine, au Québec, tu vas chez le boucher ou dans un deli et ils ont une machine espresso, et un barista professionnel, payé décemment pour exercer sa profession, qui te sert un super café d’un torréfacteur québécois! Imagine un monde comme ça! C’est ce qui me drive (rires) ! J’ai trouvé ce qui me drive (rires)! C’est notre responsabilité de faire changer les choses.
Selon toi, quels sont les défis auxquels sont confrontées les femmes dans l’industrie du café?
Oh… il y en a tant… Je ne sais pas comment bien répondre à cette question! Les défis auxquels sont confrontées les femmes dans l’industrie du café sont très représentatifs des défis rencontrés en général. Même si on se dit une industrie progressiste, on ne l’est pas tant que cela. L’industrie du café est encore une industrie dominée par les hommes. C’est plus dur de voir les femmes comme égales puisqu’il la représentation n’est pas égale. Nous ne sommes pas dans le bro club, ce qui est une barrière, un défi. Ça concerne l’industrie du service en général, pas seulement celle du café et il y a beaucoup à faire pour atteindre l’égalité avec nos collègues masculins. Et que dire des femmes dans les pays producteurs… Les défis sont tellement nombreux…
As-tu toi-même été confrontée à des défis en tant que femme dans l’industrie ?
Oh oui… certainement… Tout le temps (rires)! C’est drôle parce que quand les gens viennent nous visiter à l’atelier, la plupart du temps, ils se tournent vers Paul pour parler de café, qui est très bon pour rediriger la conversation vers moi, puisque nous sommes égaux. Ce n’est pas tout le temps, ce qui me rend optimiste, mais trop souvent, on me rappelle combien les rôles de genres sont profondément ancrés. Et quand ils veulent parler du bébé, ils s’adressent à moi, tandis qu’en réalité, nous sommes égaux de ce côté aussi! Et bien sûr, je suis toujours heureuse de parler du bébé! Je crois que les rôles associés au genre sont difficiles à surmonter… Même pour moi, qui suis consciente de cela, je suis toujours humiliée et choquée quand je réalise que je me comporte d’une certaine façon à cause de cette association profondément ancrée. Je suis quelqu’un qui pense à cela beaucoup, et je ne pense pas que c’est le cas pour tant de gens.
Quelle est la principale valeur ajoutée des femmes dans le développement de l’industrie du café ?
Je crois que la principale valeur ajoutée des femmes est l’ouverture d’esprit. De façon générale, elles le sont davantage probablement grâce à leur plus grande vulnérabilité. À mon avis, les femmes, ou tout groupe de personnes marginalisées ou discriminées, sont capables d’être ainsi parce qu’elles ont été forcées de l’être; les personnes qui n’ont jamais fait face à la discrimination n’ont pas à montrer cette vulnérabilité puisque personne ne les met dans une situation où elles doivent l’exposer. Cette fragilité est très importante pour être ouverte et ne pas avoir peur de l’être.
Quels changements souhaites-tu voir dans l’industrie dans les années à venir ?
L’ouverture d’esprit, et plus de collaboration! Voilà! Je crois que ça commence, que ça se passe déjà… On ne peut pas dire qu’il n’y a pas de collaboration, mais j’aimerais seulement en voir plus. Être une industrie plus collaborative puisque qu’il y a beaucoup à accomplir tout le monde ensemble. C’est ce que je souhaite. Je suis peut-être un peu naïve…
À quoi ressemble ta journée de travail typique ?
Le lundi est la journée de torréfaction. On torréfie et on emballe pour la livraison du mercredi. Une journée typique… (pause). Bon. Léo, mon garçon, dicte pas mal la façon dont la journée va commencer. On se lève entre 6h00 et 7h00, on va porter Léo à la garderie vers 8h30, et on se rend à l’atelier de torréfaction, ou on va rencontrer des gens, faire des livraisons. Finalement, il n’y a rien de typique dans nos journées! J'essaie très fort de me faire un horaire « typique » et de le respecter. Au début de chaque semaine, je me fais un plan de la façon dont va se dérouler la semaine et à la fin de la semaine, je regarde mon calendrier et rien n’est comme ça aurait dû être (rires)! La seule chose qui est typique est lorsqu’on va porter Léo à la garderie! Après, tout peut arriver! Paul ou moi allons chercher Léo vers 17h30, tandis que l’autre est encore à l’atelier ou en ville. On essaie tout de même d’être à la maison avant de mettre Léo au lit et de passer du temps en famille. C’est important.
Ta méthode d’infusion privilégiée et pourquoi ?
Ahhh je vais être ennuyeuse et je vais dire pour over! C’est ma méthode préférée. Juste parce que… l’espresso c’est super, mais c’est juste trop intense! C’est très concentré et tu as très peu de temps pour le préparer de façon extraordinaire. C’est beaucoup de pression…littéralement (rires!). J’aime boire toutes sortes de cafés, mais la méthode qui me convient le mieux est le pour over, juste parce qu’il y a comme une danse autour de cette méthode. Ah! Parce que, avant tout, je voulais entrer dans le programme de danse à Concordia, et j’avais appliqué et auditionné à une école à Ottawa… j’étais très jeune. Donc j’ai toujours porté la danse à travers ma vie. Un pour over est une chorégraphie, tu sais. C’est lent, rythmique, ça me fait me sentir bien. J’aime aussi le pour over parce qu’avec le filtre, tu obtiens une tasse nette avec beaucoup de nuances. C’est une expérience plus longue : tu le reçois chaud, tu le laisses refroidir, c’est juste agréable. C’est une belle danse lente avec ton café. Je peux en boire à n’importe quel moment de la journée. oluptate velit esse cillum dolore eu fugiat nulla pariatur. Excepteur sint occaecat cupidatat non proident, sunt in culpa qui officia deserunt mollit anim id est laborum.
Quel a été le café que tu as bu qui t’a fait réaliser que ce n’était pas « juste du café » ?
C’était un café de Square Mile Coffee Roasters, un San Agustín du département de Huila, en Colombie. On a acheté un sac dans un café et on l’a fait en pour over dans notre appartement à Berlin. C’était un café… mémorable! Si j’avais pu le boire toute la journée… Je n’oublierai jamais ce moment où je me suis dit « on va faire ça, on va faire du café comme ça ».
Si tu devais choisir un seul café à boire pour le restant de tes jours, lequel serait-il ?
Un pour toujours?! Le San Agustín (rires)!? Je crois que si je devais choisir un seul café, ça serait sans doute un quelconque Éthiopien lavé. Réponse ennuyeuse de torréfactrice!